Le déni …

ou la fabrique de l'aveuglement 

« Le déni n’est pas une erreur de jugement. 

C’est un bras de fer que l’on tente d’opposer à la réalité, aux autres, et à soi-même, et dont on ne sort jamais vainqueur. Des erreurs de jugement jouent pourtant souvent un rôle important dans la mise en place d’un déni. C’est ce qu’on appelle des « biais cognitifs ». 


Le biais de confirmation

C’est la tendance, très commune, à ne rechercher et à ne prendre en considération que les informations qui confirment nos croyances et à ignorer ou discréditer celles qui les contredisent.

Par exemple : je crois que les prêtres et religieux respectent les vœux qu’ils prennent parce que cela a toujours été ainsi et que, dans ma famille, on les a toujours admirés.  Donc ceux qui les accusent en les calomniant  sont  hostiles à l’Eglise, font du mauvais esprit.

Par exemple :  je crois au pouvoir de guérison de notre groupe de prière puisque c’est conforme aux Ecritures saintes relatives aux premiers chrétiens. Ceux qui nous contredisent s’opposent à la tradition la plus ancienne de l’Eglise attestée par les témoignages des apôtres.

Le biais de normalité

Il consiste à croire que les choses fonctionneront à l’avenir comme elles ont fonctionné dans le passé et donc à sous-estimer, par exemple, la probabilité d’un événement exceptionnel.

Par exemple : les nonces apostoliques nommés par le Pape représentent l’Eglise de la façon la plus digne. Le fait qu’un nonce puisse être accusé d’un comportement déplacé, d’un geste « inapproprié » est chose impensable.

Par exemple : ce sont toujours les jeunes prêtres à qui on a confié le soin des mouvements de jeunesse et des camps d’été. Je ne vois pas où est le mal et pourquoi on devrait s’en méfier. Ils sont les mieux à même de comprendre la mentalité et les aspirations des adolescents.


Le biais de disponibilité

Il nous fait imaginer comme probable un événement qui nous vient facilement à l’esprit et peu probable un événement dont nous n’avons  pas d’exemples en tête.

Par exemple : le fait qu’un prêtre accorde le pardon de Dieu en confession est un comportement  certain pour un croyant. Le fait qu’il profite de cette confession pour pratiquer une intrusion psychologique dans le for intérieur du pénitent et pour lui faire accepter un rapport sexuel qui sera ensuite absous, cela paraît impensable. C’est une incongruité.

Par exemple : de mauvaises langues affirment que notre évêque entretient une relation cachée avec cette dame catéchiste qui fait un bien fou dans le diocèse.  Comment peut-on envisager qu’un scandale se produise alors que, dans notre famille, il y a aussi des catéchistes qui donnent de leur temps à l’Eglise ?


Le biais de croissance exponentielle

Notre cerveau est optimisé pour faire des additions et traiter une croissance linéaire, et non pour traiter une croissance exponentielle.

Par exemple : le fait que le rapport de la CIASE mentionne des  milliers de victimes d’abus pédocriminels commis par des prêtres (216.000 personnes de 1950 à 2020) est contesté par l’Académie Catholique de France car ce chiffre inattendu, bien qu’il soit extrapolé de manière scientifique par des experts de l’INSERM et des sociologues, ne peut que paraître exagéré.

Par exemple : je veux bien admettre qu’il y a eu des abus et qu’il y en a encore. Il y en aura toujours tant que le monde durera. Mais de là à affirmer que c’est systémique dans l’Eglise catholique, c’est une calomnie puisqu'on ne peut apporter de preuves que sur des cas isolés.

Le biais d’optimisme : l’illusion positive

Il s’agit d’une évaluation exagérée de nos capacités. Ce qui arrive à d’autres ne peut pas nous arriver à nous. Et cela concerne aussi bien notre personne que le groupe auquel nous appartenons.

Par exemple : il peut y avoir des abus de prêtres en Afrique qui  ont du mal à modifier des comportements ancestraux. , et  par peur du SIDA, préfèrent avoir des relations physiques avec des religieuses qui leur sont soumises. Mais cela ne peut pas arriver chez nous. Ou de façon vraiment exceptionnelle.

Par exemple : je suis jeune diplômé et j’ai également reçu une solide formation chrétienne. Je suis parfaitement en mesure de discerner si la communauté dans laquelle je vais m’engager désormais connaît ou non des dysfonctionnements. Ce n’est pas parce qu’un novice fragilisé a tenté de se suicider qu’il faut pour autant généraliser.

Par exemple : je suis psychologue chrétien et j’ai bien étudié les mécanismes de l’emprise. Ce n’est pas moi qui tomberai dans les pièges qui sont tendus à ceux qui ne se méfient pas. D’ailleurs je m’appuie sur l’Ennéagramme pour gérer mes relations interpersonnelles.


Le biais de conformisme

C’est la tendance à penser et à agir comme les autres. Pourquoi changer mon comportement quand je vois autour de moi des personnes qui ne changent rien ?

Par exemple : Le Père fondateur de notre communauté nous fait du bien. Il faut l’écouter et profiter de ses paroles et de l’attention qu’il nous porte. D'ailleurs tous les autres membres de notre communauté partagent pour  lui la même admiration que moi.

Par exemple : c’est normal qu’un nouveau mouvement religieux, encore adolescent, connaisse une crise de jeunesse. Il ne peut qu’en ressortir renforcé. C’est ce qui se passe pour certaines des communautés du Renouveau Charismatique. Il n’y a pas de quoi s’alarmer d’une crise de jeunesse.


La prison du déni

« Le déni est un mensonge que l’on se fait à soi-même pour s’opposer à une réalité que l’on ne peut - ou ne veut - pas accepter. 

« Pour comprendre cette différence majeure entre déni et biais cognitifs il est utile de rappeler l’explication la plus pertinente qui a été donnée de ceux-ci : ils relèvent d’une logique du moindre effort. Daniel Kahneman 1 a en effet montré que nous possédons deux modes de raisonnement. 

  • Le premier est rapide et intuitif. C’est un peu l’équivalent du lièvre de la fable de La Fontaine. Mais il est très sensible aux biais cognitifs. 
  • Le second, lui, est tout le contraire. C’est un peu la tortue de la fable. Il mobilise toutes les compétences cognitives pour des choix raisonnés et, pour y parvenir, il est lent et réflexif. 

Changer de point de vue nécessite en effet un travail mental qui implique l’inhibition de nos croyances précédentes. Les biais cognitifs seraient donc des erreurs d’appréciation que nous faisons en suivant un mode de pensée qui nous permet de rester dans notre « zone de confort » sans remettre en cause nos habitudes.


[…] Où les partisans d’un déni puisent-ils leurs forces ? D’un désir sous-jacent auquel ils ne veulent pas renoncer ! Là où les biais cognitifs relèvent de la paresse d’esprit, les dénis, eux, sont portés par la force d’un désir.

[…] Le biais cognitif est à usage interne, en quelque sorte. Il est destiné à nous épargner une analyse de situations complexes. Il assure notre tranquillité d’esprit.


« Dans le déni, en revanche, il ne s’agit plus seulement de se tromper sur le monde, mais de s’enfermer dans un monde dont la raison d’être est la place que j’y occupe. 

Là où le biais cognitif est passif et destiné à évier un effort mental, le déni, lui, est une croyance maintenue contre la réalité. Et à ce titre, il nécessite un effort mental important. Autrement dit, passer du biais cognitif au déni, c’est changer de référentiel. Avec le biais cognitif, je vois certaines réalités de travers. Avec le déni, il ne s’agit plus seulement d’une erreur de jugement sur le monde, mais de la place que j’y occupe.  Celui qui adhère à un biais cognitif ne met pas son identité en jeu alors que la dimension identitaire est au centre du déni. 

[…] 

Le déni implique une personnalité qui organise ses représentations de lui–même et des autres afin qu’elles correspondent à ses désirs. A tel point que lorsque je m’installe dans un déni, le monde dans lequel j’étais antérieurement peut m’apparaître comme un faux monde. Celui dans lequel je suis maintenant m’apparaît plus vrai… parce qu’il fait une place plus grande à mes désirs. »


Et Tisseron conclut ainsi sa démonstration en soulignant les difficultés que connaissent tous les proches d’un adepte d’une communauté sectaire :

« C’est pourquoi il est si difficile de faire sortir quelqu’un d’un déni. Il n’en va pas seulement de la reconnaissance possible d’une erreur de jugement, il en va de son être au monde, c’est-à-dire de la façon dont le monde qu’il s’est construit soutient son identité. C’est pourquoi, comme le montrent la tragédie d’Oedipe et la fable des Habits neufs de l’empereur (Andersen), la sortie d’un déni est souvent tragique pour celui qui s’y est engagé. »


Et nous conclurons en mentionnant le déni permanent dont l’AVREF a fait l’objet de longues années après sa création. Ce refus de considérer les informations transmises par l’AVREF à l’autorité épiscopale est très bien décrit dans l’étude de l’historien Tangi CAVALIN, mandaté par l’ordre des dominicains, pour relater l’historique du scandale des Frères PHILIPPE et de la Congrégation Saint Jean.

Maintenant que la création de notre association remonte à plus de 20 ans et que les faits indubitables que nous dénoncions ne sont plus contestés, il est important de comprendre pourquoi ils l’ont été, pourquoi le refus de nous écouter était le plus fort. Cette investigation, ce travail de compréhension doit servir pour les autres abus qui ne sont pas toujours reconnus.

1 Daniel KAHNEMAN, économiste et psychologue est prix Nobel d’Économie. Ses principales découvertes portent sur les anomalies boursières et justement sur les biais cognitifs et émotionnels qui les causent,


Idées-clés à retenir

interview au magazine Le Point  du 1er septembre 2022

« Le déni est un mensonge que l’on se fait à soi-même pour s’opposer à une réalité que l’on ne peut - ou ne veut- pas accepter. »

« Une personne enfermée dans le déni pensera toujours que ce sont les autres qui le sont. Plus vous tenterez de lui montrer qu’elle a tort, plus elle vous prendra comme une personne à convaincre. »
 
« Le déni permet de conjurer l’angoisse que le monde ne soit pas tel qu’on le désire. C’est pourquoi, pour aider une personne à sortir de son déni, mieux vaut interroger ses attentes, ses souhaits, ses inquiétudes, bref, son désir, plutôt qu’employer des arguments objectifs »
 
« Le déni est un bouclier parfois utile pour nous psrotéger des agressions de la vie. […] Le déni peut constituer une stratégie de survie efficace après un traumatisme, et il est parfois une tentative de faire entendre sa dignité face à la honte et à l’humiliation ».



Rédigé le 10/03/2023


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