Communion et Libération
et sa branche laïque
Memores Domini


Cet article fait le point sur les récents développements concernant la fraternité Communion et Libération et sa branche laïque tout en présentant un bref rappel de son histoire. 

La remise en ordre passe par la mise sous tutelle.

En juillet 2020 nous annoncions sur ce site que le jésuite Gianfranco Ghirlanda, connu pour avoir assisté le délégué pontifical chargé de remettre de l’ordre dans la Légion du Christ, et notamment Regnum Christi, devait reprendre du service.

Cette fois-ci il était chargé de rectifier la situation dans le mouvement Communion et Libération (« CL » ) et - plus particulièrement - dans l’une de ses composantes les plus opaques, la branche des laïcs consacrés, nommée « Memores Domini » souvent présentée comme la « crème de la crème » de ce vaste conglomérat.


À bien lire la présentation faite par le cardinal Farrell, responsable du Dicastère pour les Laïcs, les Familles et la Vie, plusieurs dysfonctionnements sont à reprocher aux Memores Domini.


  1. Le mouvement refuse de modifier ses statuts pour les mettre en conformité avec les normes décrétées par Rome limitant « la durée des mandats ». Ce sujet n’est pas anodin et des cas similaires se présentent dans plusieurs mouvements où un responsable, une fois nommé, ou encore autodésigné, renouvelle sans cesse son propre mandat et se dispense de l’approbation d’un corps électoral régulier. C’est bien la situation chez les Memores Domini où le cardinal Farrel observe une »suspension inquiétante de la vie associative ». Autrement dit, le débat interne était muselé et les responsables s’étaient eux-mêmes désignés sans être élus.
  2. L’autoréférentialité était aussi pointée du doigt. Ce défaut n’est pas le monopole de Communion et Libération : c’est le cas de tous les mouvements qui - dans les faits et malgré leur piété filiale affichée –ne respectent pas l’autorité d’instances supérieures, en se référant uniquement à leurs propres inspirations, doctrines et interprétations.
  3. Il était demandé aux Memores Domini de ne pas devenir « de simples imprésarios d’une ONG ». Cette première remarque fait probablement référence aux activités « humanitaires » de CL, impliquant d’importantes collectes de fonds.
  4. Il leur est demandé également d’éviter « l’adoration des cendres. » Cela fait référence à l’admiration quasi-cultuelle de Don Giussani, le fondateur disparu et aux honneurs rendus tant à sa personne qu’à ses écrits.
  5. Le décret de nomination du père Ghirlanda lui donnait donné mission de « réaliser une séparation claire entre le domaine de gouvernance de l'association et de la direction de conscience de ses membres ». Si cette séparation figure à son ordre du jour c’est que le mouvement ne la respecte pas, pratiquant plutôt la « confusion des fors », voie royale vers la manipulation et l’abus.


Pour qui sait décoder le discours du cardinal, le jugement était sévère et la situation bien dégradée pour que la papauté osât s’attaquer en Italie même à une telle puissance politique, financière et religieuse.


Comme pour anticiper cette mise sous tutelle, le cardinal Farrell avait signé le 3 juin 2021 le décret concernant les associations internationales de fidèles reconnues ou érigées par le Siège Apostolique qui annonçait les dispositions suivantes :

Art. 1. - Les mandats de l’organe central de gouvernement au niveau international peuvent avoir une durée maximale de cinq ans chacun.
Art. 2 § 1. - Une même personne peut occuper des fonctions au sein de l’organe central de gouvernement au niveau international pour une période maximale de dix années consécutives.

Pour rappeler à Communion et Libération ces dispositions non appliquées, le cardinal Farrell avait convoqué Antonella Frongillo, présidente des Memores Domini, et Don Julian Carron, président de Communion et Libération, le 26 juin 2020. En dépit des avertissements, rien n’avait bougé du côté des Memores Domini. Au contraire, ils faisaient ensemble preuve de mauvaise volonté, s’obstinant dans leur refus d’obéissance. C’est pourquoi le pape a pris la décision en septembre 2021 de démettre ces dirigeants et de mettre l’association sous tutelle.

L’archevêque de Tarente, Mgr Santoro a été chargé de diriger les Memores Domini jusqu’à ce que des statuts soient enfin définis pour permettre un débat interne avec un renouvellement régulier des responsables comme il se doit dans toute association. Désormais, un signal très fort est adressé à ce mouvement mais aussi aux 109 associations internationales de fidèles concernées par le décret de juin 2021 si elles refusent de s’y conformer.


Cette décision, notamment la démission forcée de Julian Carron, a provoqué une onde de choc très forte en Italie. En effet, même si ce mouvement cherche à avoir une aura internationale et affirme être présent dans de nombreux pays, il est de fait centralisé en l’Italie et s’appuie avant tout sur la diaspora italienne présente à l’étranger pour mettre en place ses « écoles de communauté » destinées à formater les esprits des jeunes avec un discours et une pensée uniques.


Mais qu’en est-il réellement de ce mouvement que ses détracteurs ont surnommé « Communion et Facturation » ou « La lobby di Dio », Le lobby de Dieu ?[1]

Le mouvement Communion et Libération ( CL ), créé en 1954 par un prêtre italien du diocèse de Milan, Don Giussani, a allègrement enchaîné les scandales de tous ordres depuis ses origines. Il participe aujourd’hui à la grande vague de fond qui met sur le devant de la scène les fondamentalismes religieux dans différents pays. Il se présente comme une machinerie puissante destinée à prendre et exercer le pouvoir dans tous les domaines, qu’ils soient culturel, économique, politique ou religieux, surtout en Italie où la nostalgie des États pontificaux n’a pas complètement disparu.

  • Dans le domaine religieux,
    CL est souvent identifié à « une Eglise dans l’Eglise » ( Chiesa nella chiesa ) en raison de son comportement au sein de l’Eglise catholique, au détriment, par exemple, de mouvements installés depuis longtemps dans les diocèses et paroisses. Mais, en se montrant résolument « papiste » sous Benoît XVI et Jean-Paul II, de sorte qu’il apparaissait irréprochable, le mouvement avait su conserver une grande liberté de manœuvre et des protections utiles à la Curie romaine, ce qui le rendait intouchable.

    Seul le cardinal Martini s’était opposé frontalement à Giussani quand il était archevêque de Milan. En octobre 1987, durant un synode des évêques, il avait en effet jugé nécessaire de rappeler à un groupe de membres de CL le devoir de « pratiquer les valeurs évangéliques de pauvreté et de justice » et de « résister aux tentations du pouvoir ».

    Enfin, CL dispose de sa propre fraternité sacerdotale, St Charles Borromée, qui lui permet d’envoyer de jeunes prêtres formés dans son moule pour mettre en place des « Écoles de communauté » dans différents pays, et ainsi tenter d’y implanter le mouvement :
  • Dans le domaine politique 
    où, pourtant, l’Eglise avait demandé à don Giussani de réduire son activité, celui-ci est intervenu ouvertement en fournissant, par exemple, des ministres au gouvernement Berlusconi et en créant une faction parlementaire « Rete Italia » à travers Forza Italia. L’affairiste Roberto Formigoni, ancien président de la région Lombardie, condamné et emprisonné suite à des procédures judiciaires, était bien connu pour son engagement dans les « Memores Domini ».

  • Dans le domaine économique, 
    outre le contrôle du système de santé en Italie du Nord, l’existence d’une « Compagnie des œuvres » ( Compania Delle Opere ) permet de regrouper une multitude d’entreprises et coopératives souvent agissantes sur les marchés publics dans des conditions qui ont de nombreuses fois attiré l’attention de la Justice italienne.

    Dans le domaine culturel, 
  • l’organisation d’une vaste foire de rentrée chaque automne à Rimini, permet au mouvement de compléter les ressources que lui versent les membres de la « Fraternité », ignorants de la façon dont les fonds sont utilisés car aucun bilan consolidé n’est publié.


Bien qu’il soit implanté à travers le monde ( Etats-Unis, Brésil, etc.… ), 

ce mouvement garde une spécificité bien italienne avec son parfum de scandales, tant par sa direction totalement centralisée depuis la ville de Milan que par son mode de fonctionnement qui mélange de façon imbriquée, très difficile à démêler, des intérêts de tous ordres… Il entretient également l’autorevolezza, c’est à dire l’autojustification qui lui permet de fixer lui-même ses propres règles de fonctionnement sans véritable contrôle ecclésial.

La dérive majeure que connaît le mouvement est liée à son système
de recrutement et de formation 

qui repose de façon exclusive sur la pensée et les écrits de Don Giussani à travers les Écoles de Communauté. Ce sont des réunions hebdomadaires de « catéchèse » au cours desquelles toute la formation religieuse repose sur une technique de répétition et de lecture d’écrits le plus souvent indigestes en raison de leur obscurité. Celle-ci apparaît inévitable, voire même voulue, quand on lit la déclaration de Giussani:

« Si la définition des mots les plus importants de la vie est déterminée par la mentalité commune, nous sommes sûrs de tomber dans l’esclavage total, l’aliénation totale ».[2]


Ce serait donc pour éviter cette « aliénation totale » que les cours sont érigés sur des néologismes ou encore sur des termes connus mais coupés de leur sens commun et redéfinis selon les inspirations du fondateur. Évidemment, l’emploi de ce jargon interne a de quoi rendre perplexes les jeunes recrues, les livrant ainsi aux interprètes et enseignants attitrés, héritiers du maitre des destinées, disparu depuis 2005.


Thierry de Roucy, fondateur de Points-Cœur, aujourd’hui condamné suite à des scandales, avait bien compris l’intérêt de ces « Écoles de communauté » qu’il avait reprises à son compte pour exercer son emprise sur de jeunes adultes.
Quant à Don Giussani, vieillissant, probablement grisé par sa réussite, il n’a pas cessé d’asséner ses certitudes et demandait une obéissance à sa personne, déclarant :


« Dieu m’a placé comme responsable pour votre vie  »,[3]

Il exigeait de tout membre une adhésion dans sa « totalité », concept qui lui est cher. Nous citons à ce propos un extrait de sa première retraite de la Fraternité tenue à Rimini en mai 1982. Voici ce qu’il disait ( traduit de l’anglais ) :

« La Fraternité est construite notamment comme la norme par et à l’intérieur des groupes d’amis qui viennent ensemble librement… 

Ainsi, c’est une solidarité qui n’est pas sentimentale, qui impacte la totalité de la personne, c’est à dire la personne dans sa destinée : il importe d’affirmer la destinée de ces personnes qui sont avec moi ».[4]

Et il citait une lettre qu’un groupe de professeurs lui avait envoyée, des adeptes qui déclaraient : « le mouvement implique la totalité de notre personne dans le compagnonnage parmi nous ». Allant plus loin, ces adeptes, pourtant des enseignants, reconnaissaient le mouvement comme « notre seul horizon éducatif ». Horizon bien délimité !
Plus tard, dans un article publié en 2002 dans le N°1 de son magazine « Traces », Don Giussani demandait une « ultime » obéissance à la Diaconie centrale du mouvement et écrit :

« J’insiste sur le mot ultime obéissance,… ».

Le culte de la personnalitéAujourd’hui Giussani n’est plus présent, mais, pour se maintenir, le mouvement Communion et Libération est contraint d’entretenir le culte de sa personnalité. Nombreux sont les membres de ce mouvement qui font preuve de bonne volonté en continuant de respecter, sans esprit critique, cette « ultime obéissance ».

Les écrits de Giussani sont cités plus souvent que ceux des pères ou docteurs de l’Eglise qui sont notoirement absents de la littérature interne. Sa pensée, souvent absconse, sert de guide prioritaire aux adeptes, surtout parmi la jeunesse. Son discours ne peut ni être remis en cause ni dépassé car, si c’était le cas, ce vaste château de cartes s’écroulerait et sa chute pourrait menacer certains intérêts. Le successeur de Giussani avait reconnu ce fait quand, le 8 mars 2008, après sa cooptation, il avait déclaré que

« le mouvement est allé de l’avant à cause de son unité,
certainement pas à cause de l’autonomie d’opinion de ses membres ».[5]

Une telle autonomie représentait en effet un risque trop grand pour le pouvoir en place de la « diaconie centrale »aujourd’hui bousculée par le pape François.

Le « business des migrants »

À titre d’exemple des nombreuses »affaires » qui ont éclaboussé CL depuis l’opération « mains propres » des juges italiens, nous vous signalons le scandale de la Cascina, coopérative rattachée à la « Compania delle Opere »( CDO ), révélé au printemps 2015[6]. Cette affaire, qui impliquerait Maurizio Lupi, ancien ministre de Berlusconi, un des leaders de la « Compania delle Opere », présente un aspect particulièrement choquant. Il s’agirait d’un système organisé de détournement d’argent destiné aux repas des migrants dans des centres d’accueil de réfugiés et ce, en lien avec la « mafia capitale », autrement dit la branche romaine de la mafia .Le « business des migrants » s’avérant profitable sur une période allant de 2011 à 2014,il s’agirait pour un juge qui s’est exprimé sur ce sujet  »  d’une réelle aptitude à commettre un crime. »

En conclusion

Il convient donc de surveiller de près l’évolution de cette « Fraternité », comme toute autre organisation qui exige l’obéissance ultime et la mainmise sur les destinées. L’AVREF recommande la plus grande réserve quant à ses formations, ses rencontres et toute autre forme de recrutement.

[1]La Lobby di Dio, livre disponible en italien, https://www.amazon.fr/dp/8861900933#customerReviews
[2]L. Giussani, Le sens religieux, Cerf, Paris 2003, p. 131.
[3]Adresse aux retraitants de Memores Domini le 12 octobre 2003 - « Oui, c’est vrai, Dieu m’a choisi comme responsable pour votre vocation. C’est une donnée, un fait qui ne peut laisser personne indifférent »……« L’obéissance à Dieu se donne par l’obéissance à celui qu’il a placé comme « responsable pour votre vie.« Il m’a placé. Il m’a appelé, comme responsable pour votre vie…. »Il s’adresse à vous à travers mes mots, à travers la cordialité de mon cœur. Toute autre solution est très douteuse… ».Extrait traduit de « 30 Days » nov. 2003, version anglaise de l’adresse "Obéissance et paix » publiée dans www.30giorni.it.
[4]Extrait de la première retraite de la Fraternité tenue à Rimini en mai 1982.
[5]https://espanol.clonline.org/huellas/pagina-uno/el-entusiasmo-por-la-verdad-se-llama-fe
[6]https://asile.ch/chronique/chronique-italie-stefano-liberti-le-grand-business-des-centres-daccueil-en-italie/
Source: article “The Work of the Movement”.