L'Emmanuel
L’EMMANUEL est une association publique internationale de fidèles de droit pontifical. Le long article qu’elle a publié sous forme de questions et réponses, suite à la sortie en salle du film « Les Éblouis », a pu interloquer certaines personnes, comme si cette communauté, bien que n’étant jamais citée, s’était sentie directement visée par cette production cinématographique dans laquelle le nom de Paray-le-Monial, un de ses fiefs, n’est que simplement et rapidement évoqué lors d’une séquence.
Pour comprendre cette réaction, Il faut dire que l’EMMANUEL, qui se considère comme la principale conscience du mouvement du Renouveau Charismatique en France, est très soucieux de son image.
Aujourd’hui, plus que jamais, la Communauté de l’EMMANUEL est à la fois une Institution et un pouvoir influent dans l’Église de France. Comme toute organisation d’importance, reconnue de droit pontifical donc échappant à tout contrôle diocésain local, elle souhaite « jouer dans la cour des grands » et manifeste une certaine tentation du pouvoir, notamment dans la façon dont elle exerce un contrôle sur les Foyers de Charité antérieurement fondés par Marthe ROBIN et le père FINET.
Sa réforme des statuts actée à Rome en août 2017 renforce cette tendance car il est dit clairement que
cette nouvelle structure répond à un objectif précis de la communauté : renforcer son pouvoir de négociation avec les diocèses lors de la répartition des missions des clercs.
La communauté, via son association cléricale aura ainsi son propre pouvoir d’incardination lui permettant d’installer ses prêtres dans les diocèses où « la négociation n’est pas possible, en dernier recours ». Autrement dit l’EMMANUEL peut s’installer là où il veut avec ou sans négociation, n’en déplaise à l’évêque du lieu,
lorsque l’incardination dans ce diocèse s’avèrera impossible. Par exemple, lorsque la Communauté se trouvera devant un refus explicite d’être accueillie selon son charisme propre ». Ainsi, sans l’accord diocésain, un clerc pourra « se dédier totalement et durablement à une œuvre propre de la Communauté » là où cela paraîtra bon. Ce comportement d’électron libre, « chiesa nella chiesa » disent les italiens, est devenu commun à un certain nombre de mouvements qui fonctionnent en quelque sorte comme des « églises dans l’Eglise ».
Dans ce domaine l’EMMANUEL n’a fait que copier la Communauté Saint Martin et s’aligner sur elle tant il est vrai qu’il existe, même si ce n’est guère reconnu, une concurrence entre communautés.
Assez troublant est un texte déjà ancien de Jérôme DUPRÉ LA TOUR, prêtre du diocèse de Lyon, à l'intention des membres du conseil presbytéral de ce diocèse. Il aborde la question de la communauté de l’EMMANUEL. Son point de vue est juridique : quelle cohérence entre le droit ecclésiastique, le droit civil, et les pratiques de cette organisation ? L'auteur avait alors soumis son texte aux Pères Braux et Bouvier, vice-official et official du diocèse de Lyon.
Ses conclusions étaient assez sévères :
La communauté de l'Emmanuel se présente comme association privée, (qu'elle soit internationale et de droit pontifical ne change rien), en fait elle évite tout contrôle attaché aux associations publiques, mais dépasse largement les éléments fixés par le droit canon pour ces statuts, (cf. engagements)
Sa gestion des prêtres appartenant à la communauté, formation des séminaristes, participation à la nomination en font un lieu de pouvoir du modérateur qui présente le risque d'un noyautage ecclésial ; et cela est incompatible avec une association privée, incompatible aussi avec le sens ecclésial. Les engagements pris par des membres n'ont aucune des garanties qu'offre le droit de l'Église. Des personnes se font appeler sœurs, mais en fait leurs engagements n'ont aucune valeur ; comment régulariser un départ par exemple, c'est moralement dramatique, parce qu'il n'y a aucune régulation, rien. Il s'agit donc ici du point fondamental du respect des personnes qui est en cause. Une clarification de la présence de cette communauté et de ses statuts s'impose donc. »
Il y aurait donc, au sein de l’EMMANUEL, des problèmes de gouvernance. Nous émettons d’ailleurs aussi des réserves sur les systèmes de désignation des dirigeants via des grands électeurs. Ce sont des modalités qui favorisent la cooptation au détriment d’une participation plus active de tous les membres. Il y aurait aussi un besoin de clarification du statut des personnes dites « consacrées »…
Laissons les autorités compétentes et les canonistes apprécier ce sujet et revenons plutôt à la façon dont est commenté le film « Les Éblouis » :
Ce film nous éclaire, dit-on, sur les dérives sectaires qui ont eu lieu dans quelques communautés nées dans les années 1970. Certaines de ces communautés qui regroupaient des familles et des consacrés, ont pu rencontrer à un moment ou un autre des difficultés concernant leur gouvernance et les choix de mode de vie, et ont dû procéder à des ajustements ou même de profondes réformes.Nous ne pourrions nous empêcher de sourire à la lecture d’un tel commentaire, si ce sourire n’était pas teinté de tristesse.
« Des dérives sectaires ont eu lieu dans les années 1970 » :
comme si c’était du passé ! Comme si l’AVREF ne recevait pas régulièrement des témoignages qui sont, hélas, d’actualité.
« Certaines communautés ont pu rencontrer des difficultés » :
pourquoi ne pas dire « ont effectivement rencontré des difficultés » ? Cette façon de minimiser trompe le lecteur.
« Elles ont dû procéder à des ajustements ou même à de profondes réformes » :
Donc il y a bien eu des difficultés. Mais nous n’aurions entendu parler de ces profondes réformes qui, si elles avaient eu lieu, nous auraient amené à dissoudre l’AVREF, notre combat n’ayant plus d’objet… À la vérité, certaines communautés ont modifié leurs statuts, mais est-ce cela qui change les esprits et les cœurs ? Est-ce cela qui modifie les comportements et les mentalités quand les équipes en place bougent si peu ? Si l’EMMANUEL a créé en 2019 sa propre cellule d’écoute interne redondante avec celle des diocèses, n’est-ce pas parce qu’il faut peut-être encore procéder à des ajustements et même à des profondes réformes ?
C’est pourquoi, en voulant défendre l’indéfendable, la communauté de l’EMMANUEL en arrive à se rendre elle-même suspecte. Est-ce le but qu’elle recherche ?
Ainsi une personne qui tient à garder l’anonymat, après avoir suivi une session dans l’EMMANUEL, nous a écrit : « J'ai le sentiment qu'il y a confusion également entre "travailler à la gloire de Dieu" et "travailler à l'agrandissement de la Communauté. Est-elle une fin en soi pour ses membres ? » Cette remarque dénote un malaise certain.
Plus loin la même personne nous parle de «la responsable des accompagnements affirmant au micro qu'on ne peut pas critiquer l'Église car elle est notre Mère, en réponse à des questions sur la gestion par l'Église des affaires de pédophilie. » Pourquoi ne pas reconnaître qu’il peut y avoir de temps en temps une affaire gênante au sein de son équipe gouvernante, ou au sein de l’Église ? Si on assure des accompagnements on est quand même bien placé pour recueillir des confidences en ce sens !
D'autre part, la communauté ne semblerait pas prête à prendre la distance suffisante par rapport à cette mode des sessions de guérison qui fait fureur et provoque des réactions telles que celle que nous avons reçue et citons ci-dessous :
J'ai beaucoup reçu de cette communauté, mais j'ai été victime d'une erreur non volontaire mais non reconnue. Cette erreur est due à une proposition de "guérison psychospirituelle" faite par des personnes de bonne foi et de bonne volonté mais incompétentes. Il en est résulté de graves difficultés psychologiques qui ont abouties à une hospitalisation sous contrainte en hôpital psychiatrique, des erreurs de diagnostics, de traitements, des conséquences sur ma capacité à travailler, etc. J'y ai laissé x1 années de ma vie et je pensais que je traînerais ces difficultés de santé toute ma vie. Je suis en train de m'en sortir grâce à mon esprit combatif et ma volonté propre, ma rage de vivre et ne m'en sortir, contre la communauté de l'Emmanuel, ma propre famille et le monde médical, grâce à une psychothérapie financée par mes propres deniers et qui porte des fruits de reconstruction positif. Il en restera je crois quelques séquelles.
L’EMMANUEL doit savoir que toute cette offre de guérisons abusives qui inonde le marché a été en 2019 à l’ordre du jour des réunions annuelles de cellules de vigilance des dérives sectaires dans les préfectures. Comme bien d’autres mouvements qui se sont lancés tête baissée dans cette proposition de services inconsidérée amalgamant le physiologique, le psychologique et le spirituel, la communauté devrait évaluer finement la pertinence de ses propres sessions.
En résumé l’EMMANUEL est un mouvement ambitieux qui se sent aujourd’hui gêné par la sortie au grand jour de différentes affaires. De sa capacité à les régler de façon transparente dépendra la confiance que l’on pourra lui accorder.
1 Le nombre d’années n’est pas précisé pour empêcher tout recoupement qui aiderait à l’identification de ce témoin.