15 ans dans l’enfer de la famille monastique de Bethléem

Cet ouvrage fera date.

Il aura fallu une bonne douzaine d’années et la reconstruction d’une vie puisque Patricia Blanco est aujourd'hui mariée et mère de deux enfants, pour qu’elle puisse s’exprimer sur son vécu de religieuse. 

Pour rendre compte de cet ouvrage, prenons les choses dans l’ordre et commençons donc par la préface au ton bien enlevé signée de Pierre Vignon. Nous en retiendrons déjà deux notations qui nous ont paru particulièrement pertinentes :


L’emprise

Commençons par l’emprise que Patricia caractérise d’une terrible trilogie : « séduction, manipulation, destruction ». C’est ce qu’elle a vécu.  Toute manipulation commence par une fascination, se poursuit par l’occupation du terrain psychologique de la personne en repoussant toujours plus loin les limites grâce à un savant mélange de violence et douceur, pour arriver à la reprogrammation complète de son psychisme dont on fait alors ce qu’on veut, en particulier en lui faisant accomplir ce qu’elle ne veut pas. »


Le cancer de la chapelle

« Les communautés déviantes sont une réalité dont on commence à prendre conscience dans l’Eglise catholique. On pourrait l’appeler le cancer de la chapelle.  Alors qu’une église a une nef dans laquelle tous ont leur place s’ils le désirent, certains se réfugient dans une chapelle, la ferment, en contrôlent l’accès et s’y développent au détriment de l’ensemble. La prolifération des cellules cancéreuses est présentée comme un renouveau des vocations, le développement des richesses comme une bénédiction divine, et la mission de la communauté cache l’objectif qu’on se donne de sauver, rien que ça, l’Eglise universelle.

La communauté monastique de Bethléem est l’une d’elles et pas des moindres. Par le système du mois évangélique, un moyen sophistiqué de recrutement est mis en place. Les sectes évangéliques et les entreprises américaines utilisent les mêmes mécanismes. »

 *   *   *

Venons en maintenant au contenu du récit :

230 pages d’un témoignage précis, rédigé sans fioritures, avec les mots de tous les jours car il s’agit bien de la quotidienneté de la vie monastique à Bethléem qui nous est narrée, une succession de près de 5.500 jours dans un climat de contrainte, sous le poids de cette emprise décrite dans l’introduction de Pierre Vignon. Les résumer serait une gageure. Nous retiendrons donc seulement quelques « flashes », quelques paragraphes éclairants sur ce que l’auteure qualifie d’enfer : les premières déceptions du début, les premiers enseignements aussi avec l’obligation de transparence :


Moi et tant d’autres qui avons quitté Bethléem ou celles qui sont restées dans le monastère parce qu’elles n’avaient pas assez de courage pour le quitter, nous voulions être saintes, et avons vécu cette transparence à 100% au carré dans le seul but qui justifiait notre entrée au monastère : devenir saintes, devenir humbles.


Mais après de nombreuses années de « transparence fidèle », les seuls fruits que nous avons récoltés étaient le mépris et l’humiliation. Cela nous révoltait… En fait, la transparence n’avait qu’un seul objectif : nous connaître, nous manipuler, nous contrôler.

Viennent ensuite les premières tromperies, mais revenons à cette obligation de transparence (page 46) : 

Les plus jeunes ne sont écoutées que dans le but de savoir ce qu’elles pensent et pour pouvoir mieux les contrôler, les manipuler… Ce qui est appelé « la vérité » à Bethléem, n’est en fait que ce « que les prieures ou autres responsables ont décidé.


Nous avons relevé d’autres paragraphes particulièrement éclairants pour toutes celles et tous ceux qui, nous lisant, ont connu ou connaissent encore le désir de rompre, de quitter une communauté déviante avec laquelle ils ont cru bon de faire leur choix de vie. 

Le témoignage de Patricia Blanco illustre fort bien les difficultés que l’on rencontre pour sortir des mailles du filet. Ainsi page 129 : « Je voulais vraiment partir »… ,
Mais à la page suivante : « Mais je suis encore restée »…


Et l’emprise se poursuit. Alors la question resurgit : page 162 « Ma décision était prise. Je quittais Bethléem ».
Cette fois-ci plus de doute ! C’est la bonne !
Et puis page 166 : « Et pourtant je suis revenue ».

On dit qu’un départ est dû à un « déclic » ; l’expression est facile. Il serait plus juste de dire qu’un départ est dû à une série de déclics jusqu'à ce que la goutte d’eau fasse déborder le vase. Pour que la coupe de Patricia fût pleine  il a fallu une colère, une véritable colère d’une autre sœur pour un motif futile. Mais cela ne fut pas la vraie cause, ce ne fut que la pichenette finale. 

N’allons pas croire que Patricia se soit montrée inconséquente dans son choix final. Ce fut une décision fort rude et un commencement fort difficile de la vie dans le monde : « Même partie, écrit-elle, Bethléem continuait à me nuire ». Se posèrent alors de multiples problèmes pratiques que « l’homme de la rue » a du mal à réaliser[i] 

Se posèrent également des questions de cotisations non versées compliquées par le fait qu’elle n’avait pas la nationalité française. Les titres des derniers paragraphes sont révélateurs de cet état de faits : « Après l’enfer, la punition ? » et puis : « J’étais très seule… et parfois découragée… habitée par un fort sentiment d’injustice ». Elle conte alors ses difficiles démarches jusqu'à une médiation bancale signée en mai 2014.


En refermant ce livre on commettrait en fin de compte une erreur majeure si l’on pensait qu’il est une tentative d’autojustification, ou un règlement de compte. Les courtes pages de conclusion donnent tout leur sens à ce récit qui reste avant tout un formidable message d’espoir et de foi. C’est surtout le souci d’aider des jeunes désireux d’embrasser une vie religieuse qui a soutenu Patricia dans  l’écriture de son témoignage :


« Ne vous fiez pas aux apparences ! » leur dit-elle « Ne vous laissez pas détruire par un Ordre tellement fermé qu’on pourrait le qualifier de secte ! […] Je dis aux jeunes qui m’approchent que dans la vie communautaire il y a des joies et des peines, comme dans tous les chemins. Toutes les communautés sont fragiles car nous sommes tous humains. La vie fraternelle est difficile mais s’il y a un vrai appel et que celles qui sont là pour t’aider à y répondre t’aident au lieu de détruire ton appel, même  si c’est difficile cela devient possible, dans les joies et dans les peines ».

Rédigé en mai 2022

 

[i] Les bonnes questions qu’il convient de se poser pour affronter ces difficultés sont reproduites sur notre site sur cette page.

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