La nuit, j'écrirai des soleils

Boris CYRULNIK

Qui ne connaît Boris CYRULNIK, l’enfant juif contraint de masquer son identité devenu l’éminent neuropsychiatre auteur de nombreux ouvrages . « Les mots écrits métamorphosent la souffrance ». Cette pensée extraite de la présentation de son dernier livre est un message fort adressé à toutes les victimes, à toutes celles qui ont subi un trauma, et notamment à toutes les personnes qui ont été abusées dans une Communauté à tendance sectaire, ou individuellement par une personne détentrice d’une autorité, de l’autorité qui leur a permis une libre intrusion dans leur for intérieur sous prétexte de guérison ou de direction spirituelle.
Dans l’expérience qu’a acquise l’AVREF en accompagnant les victimes, la place du témoignage écrit est essentielle. Son importance ne fait pas de doute, qu’il soit nominatif ou anonyme, écrit pour soi ou écrit pour les autres. Et peu importe qu’il soit bien ou mal rédigé. 

C’est dans le noir qu’on espère la lumière, c’est la nuit qu’on écrit des soleil, leur dit Boris CYRULNIK.

Quand on a subi un traumatisme, ou tout simplement une mauvaise expérience, une emprise destructrice il y a deux dangers qui menacent la mémoire, nous dit l’auteur : ne jamais en parler ou trop en parler, l’objectif étant d’atteindre la résilience. 

Le meilleur facteur de résilience, selon lui, c’est la repersonnalisation du blessé : « Qu’est-ce que vous pensez, vous, de ce qui vous est arrivé ? Expliquez-le, écrivez-le, cherchez à comprendre, engagez-vous dans une association, agissez : vous reprendrez ainsi possession de votre monde intime délabré par l’agression.(p. 88).

Mais encore (p. 158) :

Faire un récit, c’est révéler l’intention organisatrice de celui qui, en parlant, désire agir sur l’esprit de celui qui écoute. Désormais le monde est clair : nous voyons le monde qui est mis en mots. Quant, par bonheur, nous habitons des récits de même famille, nous pouvons vivre ensemble, nous nous comprenons. » Mettre des mots sur ce qui nous est arrivé… Mais la mémoire est infidèle, ou bien elle est sélective : alors est-ce utile ? Est-ce justifié ?

Là encore c’est le neuropsychiatre qui répond à cette question pertinente (p.159) :  Tout récit est donc une bienfaisante trahison du réel, car le réel est fou. Si nous pouvions tout percevoir, nous serions confus, bombardés d’informations insensées, impossibles à associer. Dans un réel chaotique nous ne pourrions adopter aucune conduite cohérente. Incapables de nous adapter, nous serions éliminés. C’est pourquoi nous faisons le ménage, nous agençons des morceaux de réel pour en faire une fiction qui plante dans notre monde intime une image cohérente et oriente notre chemin de vie. » Que l’on se comprenne bien : Cyrulnik ne signifie pas que tout témoignage est faux. Il signifie en premier lieu que tout témoignage est bienfaisant au milieu d’un réel chaotique. Donc tout témoignage est recevable avec tout le respect et l’attention dus à la victime.

L’adepte, le jeune religieux, le laïc consacré, le petit scout se sont trouvés sous emprise. Il leur faut donc désormais regarder le monde différemment. On leur a dit qu’ils étaient supérieurs au monde : c’est faux. On leur a dit que le monde était diabolique : c’est faux. Alors qu’est-ce qui est vrai ? Nul ne sait. Mais on sait que ce qui importe désormais c’est un nouveau regard sur le monde (p. 159) : 

Pour qu’un cheminement apporte du nouveau, il faut qu’une imagination, un changement de regard fasse voir autrement, découvre une chose cachée. »

 Un dévoilement doit se produire avec l’aide de l’accompagnateur et grâce au bénéfice de l’écriture.

Ecrire pour sortir du tombeau 

Même si l’on s’y met 20 ans, 30 ans plus tard. (p. 213) « Penser le trauma est radicalement différent de penser au trauma. Penser le trauma, c’est faire un travail intellectuel et affectif qui aide à transformer la représentation du malheur, afin de reprendre une nouvelle évolution (ce qui définit le processus de la résilience). Alors que penser au trauma, c’est réviser sans cesse le scénario du malheur, renforcer la mémoire traumatique, faciliter la répétition, empêcher toute évolution, se rendre prisonnier du passé, ce qui définit le syndrome traumatique. »

« Parole parlée » ou « parole écrite » ? Dans le fond, peu importe : (p. 221) 

L’écriture aurait-elle cette fonction d’apaisement ? Après la phase de sidération traumatique, quand la vie psychique lentement se réveille, elle peut être aiguillée dans deux directions opposées : celle de la rumination si le blessé est laissé seul ou celle de la métamorphose de l’horreur quand le traumatisé soutenu a la possibilité de s’expliquer. Il peut alors faire un travail de parole parlée en s’adressant à une base de sécurité familiale, amicale ou professionnelle. Il peut aussi faire un travail de parole écrite, en s’adressant aux lecteurs, ses amis invisibles.

Ecrire pour sortir du tombeau », c’est un programme, c’est le titre de l’un de ses chapitres . On peut y lire le commentaire suivant (Page 220) :

Comment comprendre ça ? Pour se remettre à vivre quand on ne peut plus parler parce que l’émotion nous rend muet et que la société nous fait taire, il reste l’échappée de l’écriture. Dans le repli sur soi, dans la plongée intérieure, on va chercher des mots pour donner forme à quelques idées qu’on adresse aux lecteurs, amis réels et invisibles. On se met au clair, on sort du tombeau de la non-pensée, on reprend conscience. »

Ce travail est non seulement utile, mais il peut se révéler créateur (p.296) : 

Quand la créativité est fille de la souffrance, l’écriture rassemble en une seule activité les principaux mécanismes de défense : l’intellectualisation, la rêverie, la rationalisation et la sublimation. »

 Mon malheur charpente ma personnalité 

Est-ce suffisant pour guérir définitivement, pour évacuer le souvenir et cautériser la plaie ? Certainement pas. Voici ce qu’il en dit :

Pourtant l’écriture n’est pas une thérapeutique. L’auteur a souffert de son malheur, il ne redeviendra jamais sain, comme avant. Le travail de l’écriture l’aide plutôt à métamorphoser sa souffrance. Avant, j’étais dans la brume comme une âme errante, là ou ailleurs, sans savoir où aller, sans comprendre. Depuis que j’ai écrit, je me suis mis au clair, je ne suis plus seul, j’ai repris une direction, mais je ne suis pas guéri, je ne redeviendrai jamais comme avant puisque la blessure est dans mon corps, les lieux, les maisons et les raisons, sont référés au malheur passé, mais je n’en souffre plus. Puisque j’ai trouvé un sens, mon monde intime a pris une autre direction. , dans mon âme et dans mon histoire. Mon malheur charpente ma personnalité. Tout ce que je perçois, les objets, Depuis que j’ai écrit mon malheur, je le vois autrement: « Aux effets de symbolisation et de trace qui sont plus forts dans l’acte d’écrire que dans celui de parler, il faut ajouter les bénéfices secondaires de prise de recul, d'apaisement et de reconnaissance ».i

Il s’agit simplement de métamorphoser la souffrance, de donner une nouvelle direction à son monde intime.

Odile Jacob, ISBN 978-2-7381-4828-5


i : Chaput-Le Bars C., traumatisme de guerre. Du raccommodement par l’écriture, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 200.

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