Témoignage de Nicolas Le Port-Letexier,
ancien élève à Autrey
Propos recueillis par J.-M.D.
Une autre enquête est menée par la juge d’instruction Séverine Contival du tribunal de Rodez sur les déviances d’un frère, Pierre-Etienne A., 57 ans, mis en examen pour « agressions sexuelles sur mineurs » et qui s’est dénoncé auprès des autorités judiciaires. Une quinzaine de victimes ont déposé plainte.
« Je ne savais pas que j’allais entrer en enfer »
Le Parisien : Pourquoi êtes-vous entré au cours Agnès-de-Langeac à Autrey ?
Nicolas Le Port-Letexier : Au cours d’une retraite religieuse à l’âge de 11 ans, j’ai eu une révélation. Je voulais devenir prêtre. Mes parents, pas très pratiquants, ont d’abord eu des réticences. Ensuite, j’ai fait la connaissance d’un ami dont les parents étaient proches de la communauté des Béatitudes et il est entré au collège à Autrey. Je découvrais une spiritualité proche de la vie des premiers chrétiens. J’ai convaincu mes parents de m’envoyer dans ce cours réservé aux garçons et supposé former l’élite de la communauté et de l’Eglise. En fait, je ne savais pas que j’allais entrer en enfer.
C’est-à-dire ?
Et ces curieuses séances d’exorcisme ?
Etre malade, c’était être « infesté diaboliquement ». L’un des directeurs spirituels pratiquait des exorcismes deux ou trois fois par semaine sur les élèves, toujours vers minuit. Un jour, une soeur italienne a imposé ses mains sur moi pour me dire que j’avais un instinct de mort. Il y a de quoi être déstabilisé. Leur stratégie consiste à nous maintenir dans un infantilisme spirituel où domine le culte de l’émotionnel. J’en veux pour preuve qu’il faut un miracle tous les samedis lors des vêpres. On impose les mains pour invoquer la puissance de l’esprit et un malade se relève guéri de tous ses maux.
Le responsable de la communauté d’Autrey, qu’on appelle le berger, venait me savonner sous la douche. Le soir, il invitait d’autres jeunes à le masser nu sur le lit dans sa chambre. Il caressait les fesses et embrassait la poitrine d’un autre. Certains responsables avaient des relations sexuelles avec les élèves. Et dire que parmi eux, il y avait celui qui était mon idéal de prêtre. J’ai même brodé son étoile lors de son ordination sacerdotale.
On parle aussi de suicides parmi les anciens élèves ?
Huit jeunes à ma connaissance ont mis fin à leurs jours.
Le dernier est mort il y a un mois. Il s’agit de David, Aurélien, T., Xavier, Aurélien, Jean-François ainsi qu’un jeune Belge et un Allemand. On apprend cela au hasard des rencontres. La communauté sait cultiver le culte du secret.
Vous avez pourtant alerté la hiérarchie de l’Eglise sur ces déviances ?
On a fait une lettre de quinze pages décrivant point par point. Elle a été remise à l’évêque de Nantes dont je dépendais mais aussi à l’évêque de Saint-Dié, dans les Vosges, et à celui de Namur car l’une des victimes était belge. Nous avons été poliment écoutés. L’un des évêques m’a juste fait remarquer que j’avais fait une faute d’orthographe. Et plus tard, il m’a été répondu que seul le silence étanchera ma soif de justice.
Ils ont détruit ma vie. Ils me l’ont volée. Aujourd’hui, j’enterre des amis. Ils ont réussi à nous culpabiliser, à nous faire douter de nous-mêmes. Pour eux, je suis le diable incarné. J’ai fait le deuil de ma vie religieuse et je ne sais pas comment j’ai gardé la foi.