Opus Dei, enfin banalisé !

Le pape François modifie la structure de l'Opus Dei afin de protéger son charisme et de promouvoir l'évangélisation.



L'Opus Dei se croyait supérieur aux autres mouvements religieux.


Surtout présente en Europe et en Amérique du Sud, l'Opus Dei (l'Oeuvre de Dieu en français) s’est vue accorder en 1982 par Jean-Paul II le statut de prélature personnelle.

L’Œuvre est ainsi devenue une sorte de super-diocèse sans territoire, régi à la fois par le droit canon et ses propres statuts, et rendant compte au pape.


L’adjectif personnel souligne le fait que, contrairement à l’usage canonique pour des institutions ecclésiastiques, la juridiction du prélat n’est pas liée à un territoire mais à des fidèles, quel que soit leur lieu de résidence. Ces fidèles sont sous la juridiction du prélat dans tout ce qui se rapporte à la fin propre de la prélature. Mais ils n’en restent pas moins des fidèles ordinaires de leur diocèse, au même titre que les autres fidèles, sous la juridiction de l’évêque diocésain. La juridiction du prélat concerne des engagements ecclésiaux, apostoliques, etc., qui ne relèvent pas de l'autorité diocésaine et s'harmonisent avec celle-ci. Selon les cas, cette juridiction sera cumulative avec celle des évêques diocésains, ou bien juxtaposée, c'est-à-dire n'interférant en rien avec celle-ci. Les statuts propres à chaque prélature personnelle définissent les rapports avec les évêques des lieux où elle exerce ses activités.

Wikipedia 

Ce qui change depuis le 22 juillet 2022

Avec le motu proprio ( décret personnel du souverain pontife  ) , «Ad charisma tuendum», « Pour protéger le charisme »,  le Pape ordonne le transfert des compétences concernant l’Opus Dei vers le Dicastère ( c'est l’équivalent d’un ministère ) pour le clergé. Il établit également que son prélat (plus haute autorité de l'institution) ne peut plus être investi de l'ordre épiscopal. 

Concrètement, selon certains vaticanistes, François réduit le pouvoir et l’indépendance de la puissante organisation, et opère une véritable mise à distance entre l’Opus Dei et lui. Le document pontifical indique que les prérogatives papales sur la prélature personnelle sont confiées au Dicastère pour le clergé.


Chaque année, au lieu d'une fois tous les cinq ans actuellement, l’Opus Dei devra présenter à cet organe un rapport sur la situation interne et le déroulement de son travail apostolique.

Impunité et arrogance 

Leur statut unique de prélature personnelle donnait aux responsables de l’Opus Dei, pensaient-ils, des droits supplémentaires au commun des congrégations et leur assurait une impunité, voire même une certaine arrogance, de plus en plus difficile à supporter. 

Ils voyaient grand ; ils voyaient large. Ils pensaient dominer le milieu romain et l’université pontificale, mais c’est dans cette ville et nulle part ailleurs que la roche Tarpéienne est proche du Capitole. L’Opus Dei avait atteint une autonomie et impunité enviée et jamais atteinte par aucun autre mouvement. Elle avait étendu son influence au sein de la Curie, des Dicastères et de nombreuses Conférences épiscopales. Elle pensait dominer la formation des clercs avec son Université pontificale, s’imposer dans les tribunaux ecclésiastiques ( Officialités ) de nombreux pays. Elle compte des évêques en nombre, spécialement en Amérique du Sud, avec les conséquences que l’on connaît sur les couvertures d’abus et compromissions avec les dictatures.

Mais voilà qu'avec  « Ad charisma tuendum » le pape François a pris vis-à-vis de l’Opus Dei, en tenant compte de la réorganisation de la curie romaine, un certain nombre de décisions présentées sous la forme de six normes distinctes. 



Le lecteur pourra télécharger le texte original en italien et sa traduction française. 


Nous retiendrons ici deux points essentiels pour la bonne compréhension de ce motu proprio.

1. Puisque l’Opus Dei est une hiérarchie cléricale, il appartiendra désormais au Dicastère pour le clergé de définir le rôle des personnes appelées dans le jargon maison « numéraires », c'est-à-dire laïcs engagés ( dans des conditions discutables ). 

En effet, selon le droit canonique, les laïcs dans une prélature personnelle ne peuvent être membres, mais seulement coopérateurs selon la formule que les statuts définiront. En rendant cela plus clair, le statut des numéraires particulièrement devient clairement problématique. Autant l'engagement des « surnuméraires », renouvelé annuellement, peut faire illusion, autant celui des numéraires, fort ( équivalent de voeux et sans restrictions ) et définitif, ne peut tenir. Ce sera au Dicastère de s'y pencher. Charge lui est donnée de présider au changement de statut et de suivre les activités, c’est-à-dire de procéder à des révisions, enquêtes s’il le faut, et intervenir sur les modus vivendi.

2 - D’autre part le prélat qui dirige le mouvement n’aura plus statut d’évêque automatiquement. Il redevient, comme un autre, supérieur d’une communauté sans disposer d’un charisme particulier qui lui permette de gérer l’ensemble comme un supradiocèse, sans avoir à rendre compte à quiconque si ce n’est au pape. 

Désormais il rend compte au Dicastère au même titre que les autres mouvements cléricaux. Cette décision a plus que valeur de symbole : elle fait trébucher l’Opus Dei du piédestal sur lequel cette institution s’était installée depuis plusieurs générations. En retirant définitivement le droit au prélat de prétendre à l'épiscopat, on évite la constitution de fait d'une Eglise parallèle. C'était dans l'ambition du fondateur, qui souhaitait un centre opusien dans chaque village du monde à l'égal d'un clocher. Mais aussi le fait hiérarchique est atténué, puisqu'il est dit que le charisme ne passe pas par la hiérarchie, ce qui est révolutionnaire par rapport au discours opusien, qui autorise le viol spirituel par le fait d'un charisme qui ne passe que par la hiérarchie. Le fait hiérarchique que suppose une prélature personnelle se trouve ainsi atténué.


Les coups de boutoir étaient nombreux : livres et publications d’anciens membres de l’Oeuvre, actions menées dans de nombreux pays par d’anciens membres animant blogs et sites internet révélateurs de nombreux dysfonctionnements d’ordre financier ou spirituel.


Mgr Ocariz à là rencontre d'un public admiratif 


Il faudra revenir sur tant d'abus institutionnalisés et dont on ne sait comment les démêler de la philosophie même du mouvement. Il suffit d’avoir accès au Catéchisme de l'Opus Dei, document interne ( et non communiqué aux instances ecclésiales ) établi par le fondateur et son collaborateur et successeur, Alvaro del Portillo, pour être édifié par le cynisme des procédés de « gouvernement des âmes ». L’abus spirituel y est développé dans la plus grande rigueur scientifique et justifié dans le langage des bénitiers.


Mais Il faut dire surtout que, malgré des sommes pharamineuses dépensées en frais de justice, l’Opus Dei était rattrapé par diverses affaires. Ainsi, en France, la condamnation dans le procès ACUT, après 10 ans de procédure avait fini par faire triompher les droits de Catherine TISSIER, entrée mineure à l’âge de 14 ans dans cette organisation qui l’avait exploitée et lui avait fait prononcer des vœux à l’âge de 16 ans. En écho à cette affaire, la plainte déposée fin 2021 en Argentine par une quarantaine de femmes exploitées de façon similaire et groupées autour de Lucia GIMENEZ a recueilli un fort écho médiatique. Ce scandale a largement dépassé les frontières du pays natal du pape François qui ne pouvait qu’en tenir compte dans sa récente décision. 

> Télécharger Ad charisma tuendum - version française - en PDF


Le prélat Fernando Ocariz est contraint de se démettre ou de se soumettre. Pour l’instant il avale sa mitre en silence. Nous suivrons de près les développements de cette affaire. S’il réaffirme son rôle de « Père », donc son pouvoir hiérarchique central, et souligne le bien pour l’unité de l’Eglise qu’a constitué l’ordination épiscopale de ses deux prédécesseurs ( la décision papale réintégrant au contraire l’Opus Dei dans une unité de gouvernement ecclésial universel ), il concède qu’il se « soumet filialement » à décision du pape François, ce qui signifie, en langage ecclésiastique, qu’il se prend un camouflet.





De l'Opus Dei à la lutte contre les dérives sectaires dans l'Église 

Interview d'Aymeri Suarez-Pazos ex-opusien et ex-président de l’AVREF. 

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Un échange vraiment passionnant, qui aurait tout aussi bien pu s'intituler :
De l'emprise sectaire à la vie, ou de la doxa ecclésiale à la spiritualité...

Pendant 14 ans, Aymeri Suarez-Pazos a été membre numéraire de l’Opus Dei, c’est-à-dire engagé comme célibataire. Il y a fait l’expérience personnelle de la solitude. Il était coupé de sa famille, mais c’était plus large car toute amitié devait être utilisée uniquement à des fins prosélytes. Il n'y avait aucun espace d’intimité. De même, sa pratique professionnelle était régentée (très longtemps toute pratique théâtrale, même amateure, lui fut interdite). Il a rencontré l’AVREF cinq ans après sa sortie. 

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